Lorsque Philippe J. Fournier a suivi son premier cours de sciences politiques, il était tellement perplexe devant les divagations du professeur qu’il ne savait pas que la classe avait commencé. Aujourd’hui, Fournier est l’analyste de sondages politiques le plus prometteur du Canada, avec des projections régulièrement présentées dans L’actualité et Maclean’s.

Lorsque nous nous sommes assis avec Fournier dans un café près de McGill, il est devenu immédiatement évident qu’il n’est pas un analyste politique typique. En fait, il n’a pas tardé à nous dire qu’il n’est pas du tout un analyste politique et que ce qu’il fournit, ce sont des « chiffres et des impressions basées sur des chiffres ».

Cet accent mis sur les chiffres est tout à fait logique si l’on considère le passé et le présent de Fournier. Le jour, il enseigne l’astrophysique au Cégep de Saint-Laurent à Montréal. Bien que vous ne le devineriez jamais d’après son succès, la projection politique n’est que son travail à temps partiel.

Il a fait ses débuts à McGill, où il a étudié la physique (et a presque abandonné – mais on en reparlera plus tard). À la fin de ses études de premier cycle et tout au long de ses études supérieures en astrophysique à l’Université Laval, Fournier a utilisé les mathématiques et l’informatique pour analyser les données des télescopes. Il a finalement commencé à jouer avec des simulations de jeux, prédisant les résultats d’hypothétiques de jeux de poker et de blackjack. Une fois qu’il est devenu enseignant, il a utilisé des simulations de physique pour garder ses élèves engagés dans la salle de classe.

Au fil du temps, Fournier s’est spécialisé dans la simulation numérique. « Comparé à un vrai programmeur, je ne sais rien, nous dit-il, mais comparé à la moyenne des gens, je suis un très bon programmeur. » Finalement, il a décidé d’utiliser ses compétences en informatique pour explorer ses curiosités personnelles avec la politique, d’abord pour voir comment les différents systèmes de vote auraient un impact sur les résultats des élections.

À l’aide de points de données hypothétiques, Fournier a commencé à créer des simulations pour différents types de systèmes électoraux, y compris la représentation proportionnelle et le scrutin uninominal majoritaire à un tour. « C’était comme jouer à un jeu vidéo », explique-t-il avec enthousiasme.

Après avoir obtenu des résultats intéressants dans ses simulations hypothétiques, Fournier a décidé d’utiliser des données réelles. À partir des données historiques du Québec, il a travaillé à la création d’un modèle qui projetait avec précision les résultats des élections provinciales de 2014.

Il n’a pas été facile de construire ce modèle initial. À plusieurs reprises, Fournier travaillait tard dans la nuit, ajustant le modèle jusqu’à ce que sa femme se réveille pour la journée et qu’il réalise que c’était le matin.

Ces nuits blanches ont mené à la création d’un modèle électoral incroyablement précis, qui a prédit correctement le gagnant de plus de 90 % des sièges aux élections de l’Ontario, du Québec et de l’Alberta. Parmi les sièges que le modèle de Fournier n’a pas permis de prévoir, la plupart se trouvaient dans la marge d’erreur. 

Une grande partie de cette précision provient de l’attention que Fournier porte à l’histoire particulière de chaque circonscription. Les tendances historiques sont utilisées pour générer un « plancher » et souvent un « plafond » d’appui pour chaque parti de la circonscription. Ensuite, lorsque de nouveaux sondages sortent, il déconstruit chaque région pour déterminer comment ajuster la projection pour chaque circonscription. Fournier fait également un usage important des données démographiques, ce qui est essentiel pour prédire certains des résultats les plus surprenants. Dans la circonscription provinciale de Sherbrooke, au Québec, Québec Solidaire a gagné pour la première fois dans l’histoire de la circonscription. Sans tenir compte du fait que le parti cible la forte population étudiante de la circonscription, la plupart des modèles n’indiquaient même pas que le parti était compétitif, contrairement au modèle de Fournier.

Bien que Fournier résiste à l’appellation d’analyste politique, sa profonde compréhension des défis et des avantages de chaque parti est devenue évidente lorsque nous l’avons interrogé sur les élections fédérales à venir.

Pour les libéraux sortants, il croit que leur lutte consistera à maintenir la faible coalition électorale de jeunes et d’électeurs de gauche qui a à peine permis au parti de franchir le seuil de la majorité en 2015. « Trudeau a promis une réforme électorale. Il a promis d’être plus écolo. Peut-il tenir cela quatre ans plus tard, avec des promesses non tenues ? » s’interroge Fournier. Sinon, « Trudeau pourrait n’avoir que la base libérale, et ce n’est pas assez. »

Pour les conservateurs, il s’agit aussi de réunir une couche supplémentaire d’électeurs au-delà de la base. Pour l’instant, il est très difficile de prédire une majorité pour l’un ou l’autre parti.

Ni les conservateurs ni les libéraux ne devraient passer trop de temps à s’inquiéter des troisièmes partis restants, dit Fournier : « C’est le jeu de terrain qui compte, et ce ne sont pas les Verts ou le NPD qui l’ont. »

Fournier s’interroge sur la stratégie des Verts, se demandant s’ils en ont une. Même avec un appui relativement plus élevé dans les sondages, il ne croit pas qu’ils constitueront une menace sérieuse tant que le parti ne commencera pas à cibler des circonscriptions précises. Dans son opinion, « vous pouvez pleurer tant que vous voulez sur la représentation proportionnelle, mais pour changer le système, vous devez le battre. »

Quant à Jagmeet Singh ? « S’il est toujours chef du NPD le 22 octobre, je serai très surpris. »

Au-delà des stratégies changeantes des partis, certaines régions ont le potentiel de faire pencher la balance le soir des élections. Les plus grands baromètres sont la Rive-Sud de Montréal et la 905. Ces « zones suburbaines de Montréal ou de Toronto pourraient faire ou défaire l’élection », prévient M. Fournier. La région de Vancouver sera également intéressante à voir en raison des courses extrêmement compétitives de la région. En fait, nous ne devrions pas être surpris s’il y a quelques circonscriptions à Vancouver où le siège est remporté avec un peu plus de 25 % des voix.

Avec toutes ces éventualités, Fournier est nerveux à l’approche des prochaines élections fédérales. Comme il avertit ses lecteurs, « si je prévois 90 % des circonscriptions correctement, cela signifie que j’en manque 30. » Dans une élection aussi serrée que celle-ci, 30 sièges peuvent complètement changer la donne.

Au-delà de l’élection de 2019, Fournier prévoit de couvrir la prochaine élection présidentielle américaine. Quand nous lui avons demandé s’il avait l’intention de couvrir d’autres élections dans le monde, il nous a répondu : « C’est une réponse ennuyeuse, mais je dois survivre ». Bien qu’il en ait discuté avec sa femme, quitter son emploi de jour pour faire des projections à temps plein n’est pas envisageable. Sans pouvoir consacrer plus de temps, Fournier est sceptique quant à la couverture d’un plus grand nombre d’élections qu’il ne peut suivre avec confiance. « Un mauvais résultat peut vous coûter cher », explique-t-il.

Impressionnés par la capacité de Fournier à jongler avec ses projections politiques croissantes tout en menant une vie régulière, nous lui avons demandé quels conseils pour les étudiants universitaires. « Au début de mes études de premier cycle à McGill, j’ai voulu tout quitter et changer complètement de diplôme », se souvient-il. Après que ses parents lui aient dit de continuer, Fournier a traversé les temps difficiles et a terminé ses études dans le domaine qu’il aimait. Son conseil pour nous ? « Suivez vos passions, mais continuez. Oh, et apprendre à coder. »

De façon plus générale, M. Fournier préconise d’aller de l’avant. En pratique, cela signifie qu’il ne faut pas se lancer dans des combats sur Twitter, ce qu’il a appris de son collègue analyste de sondages Éric Grenier. Fournier admet que c’est plus facile à dire qu’à faire et qu’il a encore du mal à y arriver. « C’est dur d’être en ligne », dit-il. « Et je sais que je suis un homme blanc, donc c’est plus facile, mais ça fait toujours mal. » Il l’a décrit comme la pire partie de la gestion du Qc125.

Et pour ce qui est de la meilleure partie ? « Je m’amuse beaucoup. »

Les projections de Philippe J. Fournier se trouvent à canada.qc125.com.

Rédigé par Evelyne Goulet et traduit par Samuel Moir-Gayle.


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