Alors que la Tunisie, en pleine crise économique, est en attente désespérée d’un soutien financier international, les propos officiels du président Kaïs Saïed à l’issue d’un conseil de sécurité nationale ont attisé de la méfiance à son égard. Au cours de son allocution le 21 février, le chef d’État a accusé les « hordes d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne » d’être à l’origine « de violences, de crimes et d’actes inacceptables ». Ces propos ont de grandes répercussions politiques pour les immigrés clandestins en Tunisie, mais également pour leurs pays d’origine, qui voient nombre de leurs ressortissants « rentrer au pays ». 

La situation actuelle

Dans le prolongement de ces accusations, le gouvernement a sévi sur l’immigration en instaurant une série de mesures pénalisant les employeurs et les propriétaires des logements de personnes en situation irrégulière. Par conséquent, en quelques jours, nombre des 21 000 migrants ont perdu emploi et logement. A cette précarité vient s’ajouter la violence, psychologique avec les amalgames du gouvernement et de certains Tunisiens, mais également physique, que subissent les migrants subsahariens. 

Au cours des deux dernières semaines, le discours anti-immigration du président Saïed a suscité des scénarios catastrophe aux portes de multiples ambassades de la capitale. De nombreux immigrés (réguliers ou irréguliers) s’attroupent devant celles-ci dans l’espoir d’un rapatriement. Dans un reportage produit par France 24, une jeune femme enceinte rapporte qu’elle et sa soeur ont été lapidées par des Tunisiens, qui leur criaient de rentrer chez elles. 

Afin de faciliter le départ des ressortissants d’Afrique subsaharienne, le gouvernement tunisien s’est engagé à assurer la sécurité de tous ceux qui partiraient volontairement et a également exonéré les volontaires des pénalités imposées aux personnes en situation irrégulière (80 dinars, soit 25 euros par mois de séjour irrégulier). 

L’addition de tous ces facteurs explique les chiffres annoncés par les ambassades des pays  subsahariens à Tunis. Parmi les 7000 réfugiés Ivoiriens, l’ambassade de Côte d’ivoire a recensé 1300 départs volontaires. Le 4 mars, 300 ressortissants maliens atterrissaient à Bamako.

Cette nouvelle route de migration, qui s’apparente à celle d’un retour, reflète le racisme subi par les individus subsahariens au nord du Sahel. En dépit des chiffres, nombreux sont ceux qui aimaient leur vie en Tunisie et déplorent de devoir partir. Toutefois, la hausse du taux des agressions à leur encontre ne laisse pas grand choix.

Conscients de la situation en Tunisie, les autorités locales au Gabon, en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays subsahariens prévoient des cellules de soins psychologiques pour les rapatriés. 

Quel intérêt pour le gouvernement tunisien? 

La Tunisie compte à ce jour 21 000 migrants subsahariens, ce qui équivaut à 0.2% de sa population de 12 millions d’habitants. Depuis qu’il a pris le pouvoir en en 2021, Kaïs Saïed n’a cessé d’essayer d’affirmer son pouvoir et de se défiler au fonctionnement democratique. En septembre 2021, il impose une gouvernance par décret et, en juin 2022, il adopte une nouvelle constitution hyper-présidentielle. Le chef d’Etat a toujours été contre l’immigration. Toutefois, les accusations de « grand remplacement » sont plus récentes

La théorie du « grand remplacement », introduite par le penseur français d’extrême-droite Renaud Camus, prédit une substitution démographique inévitable de la population européenne par une population immigrée. Saïed a repris cette rhétorique d’altération démographique le 21 février dernier en désignant l’immigration subsaharienne comme une « entreprise criminelle », dont l’objectif serait de « changer la composition démographique du pays » pour en faire un « pays africain ». 

Le pays traverse actuellement une forte crise économique, avec un taux d’inflation qui s’élève à 10,4% et un taux de chômage chez les jeunes à 40%. Selon Vincent Geisser, spécialiste du Maghreb au CNRS, en attirant l’attention sur la question migratoire, Kaïs Saïed cherche à se déresponsabiliser de la crise sociale et politique que traverse le pays. 

Néanmoins, cette rhétorique du grand remplacement dessert les intérêts internationaux de la Tunisie. Hormis celui d’Eric Zemmour, le président tunisien n’a reçu aucun soutien. 

Suite aux propos racistes du président Saïed en février dernier, de multiples organismes se sont prononcés, à commencer par le président de l’Union Africaine Moussa Faki Mahamat, qui condamne « les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre des compatriotes africains, qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de notre organisation et de nos principes fondateurs ». Plusieurs dirigeants d’ Afrique subsaharienne ont également appelé au boycott de produits tunisiens en signe de contestation. 

D’un point de vue financier, la Tunisie s’est également vue refuser un prêt de 19 milliards par la banque mondiale suite à cette polémique. Le Fond Monétaire International l’a quant à lui retirée de son emploi du temps. En somme, alors que la Tunisie est déjà en proie à des difficultés économiques, celles-ci risquent de se dégrader plus encore, conséquence directe de la prise de position de son président. 

Alors qu’Emmanuel Macron annonce la fin de la politique de France Afrique, les propos du président tunisien montrent comment le continent lui-même est en proie à de fortes divisions, de part et d’autre du Sahel. 

Edited by Marine Matsumura .

The opinions expressed in this article are solely those of the author and they do not reflect the position of the McGill Journal of Political Studies or the Political Science Students’ Association.

Featured image by EU Civil Protection and Humanitarian Aid obtained via Flickr under a Attribution-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-ND 2.0) license.